Ôde à la fangirl

Je suis une fangirl. On pourrait cantonner une définition plutôt simple à ce terme là. Être fan et être une fille/une femme. Une explication factuelle en somme. Que nenni. Si c’était si facile, je n’aurais pas croisé les équipes du Petit Journal (ex Quotidien, émission animée par Yann Barthès) sur le parvis du stade de France en 2014, cherchant désespérément la fan la plus hystérique (hic) des One Direction pour faire grimper leurs audiences et se moquer joyeusement, presque innocemment pour celui qui n’appréhende pas les sous-tons narquois dans une voix. Si c’était si facile, je n’aurai pas entendu un agent de sécurité dire, désabusé, au N qu’il n’y avait que des « meufs » au concert de Pierre Garnier la semaine dernière, qu’il allait s’y retrouver solo et que les hommes y étaient uniquement des accompagnateurs.

La fangirl semble être pour ces personnes une fille ou une femme, très hormonale, ne contrôlant pas ses émotions, qui soutient uniquement des hommes dont le physique est avantageux. Pour ce dernier point, je vais me faire l’avocat du diable est dire que ce postulat est un petit peu vrai – si on peut être fan et se rincer l’œil en même temps pourquoi se priver. Les autres points sont évidemment problématiques et fondés par notre meilleur ami le patriarcat.

En Licence 1 de LEA, j’ai obtenu la note de 20 à la suite d’un exposé où j’ai débunké le sujet. Je vais m’appliquer à réaliser le même exploit aujourd’hui.

Pascal Obispo sort de ce corps…

«Si j’existe, ma vie, c’est d’être fan » Non pas que je n’aime pas Michel Polnareff – qui est somme toute un grand artiste français – mais disons que je suis quand même heureuse d’avoir choisi d’autres chanteurs et musiciens (et autres) à mettre sur mon piédestal. J’avoue avoir hésité à utiliser l’écriture inclusive dans ma phrase précédente, mais il faut se rendre à l’évidence. La fangirl dérange car elle se passionne pour des artistes masculins (en mettant de côté le cas Taylor Swift nécessitant sûrement un article à lui tout seul). Et j’en ai aimé des gars depuis ma naissance. Le premier à ma connaissance est Thierry Lhermitte, que j’embrassais sur l’écran de ma TV devant Un Indien dans la ville, couche fixée aux fesses et pyjama grenouillère en prime. (Je pense que cet exemple frappant fait état de mon degré de folie). Après lui, il y a eu Cousin Skeeter (un show du début des années 2000 vraiment qualitatif) qui n’était pas moins qu’une marionnette. A 7 ans, Claude François, quand j’ai découvert la comédie musicale Belles Belles Belles – le parfait exemple de starmania à la française, groupies incluses. (Vous pouvez constater que je trace mon destin doucement mais sûrement). N’oublions pas Miguel Angel Munoz, le brun ténébreux de Un, Dos, Très qui m’a fait chanter du yaourt espagnol pendant quelques temps ; Dylan et Cole Sprouse, les jumeaux de La vie de palace de Zack et Cody sur Disney Channel, que j’ai aimé à tour de rôle car j’avoue que je les confondais et puis à eux deux ils formaient l’amoureux idéal (avec l’âge, je penche plus pour Dylan mais chut, ça reste entre nous) ; Zac Efron, ÉVIDEMMENT, je pense ne pas avoir à donner de raison si comme moi vous regardez les High School Musical une fois par an ; Raphaël et Mika, car à 11 ans il fallait vraiment que je m’achète une personnalité et arrête de recopier ma sœur. Mes goûts commencent d’avantage à se marquer quand je découvre les Jonas Brothers – le « JB » originel, n’en déplaise à Justin Bieber (dont je n’est jamais été fan – insérez ici le meme de Pikachu choqué). J’insiste sur le fait que non, je n’ai jamais été à fond sur Joe, moi c’est Nick (Kevin, on ne t’oublie pas). Car c’est Nick, le rockeur de la famille et membre fondateur du groupe. Et puis, les bouclettes. Les bouclettes de Nick dans le clip de « Burning Up » sont un événement de la pop culture à elles seules. Dans la période très formatrice qu’a été mon adolescence, j’ai aussi été fan de Bille Joe Armstrong (figure principale de Green Day). J’étais bien contente que ma mère ne comprenne pas ce qu’est un « parental advisory, explicit content ». Mais aussi d’Alex Goude (ex-animateur de M6) dont j’ai même un autographe, et de Chris Colfer (Kurt, dans Glee). Les deux derniers sont homosexuels et vont nous permettre de réfléchir plus loin aux concepts de Female Gaze et Masculinité Toxique. Notons qu’être une fangirl d’hommes homosexuels ou queer n’est pas nouveau ou groundbreaking si l’on se penche un instant sur Freddie Mercury, David Bowie ou le plus évident George Michael. Promis j’ai bientôt fini ce listing. En 2011 j’entends vaguement parler d’un groupe britannique, je ne vais pas encore trop sur Twitter à l’époque, mais ils ont déjà eu un article sur eux dans le magazine ONE. Sur la photo choisie, ils ne m’inspirent trop rien je l’avoue. Mais ne pas écouter leur musique et me fier uniquement à cette première impression (qui n’est qu’un comportement de hater qui ne veut pas essayer de comprendre) me laisse circonspecte. Et puis, le petit là avec les cheveux bouclés…c’est plûtot mon style. Le jour où j’ai laissé une chance aux One Direction n’est autre que le 1er Février 2012, et je m’en souviendrai toute ma vie car c’est la date d’anniversaire d’Harry Styles. (Et le jour où j’ai vendu mon âme au diable.) 13 ans que je mentionne Harry Styles au moins une fois par jour, que je fais partie des tops 0,1% de ses écoutes sur Spotify, et que je reçois des réflexions sur ma passion de tous horizons – hommes et femmes. Alors pourquoi quand Pascal Obispo clame qu’il est fan, il force le respect et pourquoi quand c’est moi tout le monde le remet en question ?

Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus

Si le titre du livre de John Gray est devenu une expression de la langue courante depuis les années 90, il faut souligner qu’elle vient mettre en avant des biais de généralités qui donnent la part belle au patriarcat. Le contenu du livre est tout aussi douteux, et bourré de stéréotypes visant à opposer les concepts de féminin et masculin. Penchons nous un instant sur notre chère planète rouge. Le dieu Mars en mythologie romaine est le dieu de la Guerre. On le trouve souvent dans ses représentations tenant la tête de Médusa, femme à l’apparence de serpent, comme un trophée. Je n’invente rien si je vous dis que la mythologie du serpent, dans les textes anciens ou bibliques, représente le mal, le diable, la tentation et tutti quanti. Vous voyez où je veux en venir. Un dieu tout puissant qui a réussi à vaincre la méchante femme, comme c’est original. En Astrologie, la planète Mars représente le feu ardent, la volonté ardue, la force ou encore le désir sexuel. On est quand même bien sur des thèmes de mascus bourrés à la créatine qui vont à la salle 3 fois par jour. Vénus quant à elle est la déesse de l’amour, de la séduction, de la beauté féminine, ou encore de la fertilité. C’est là où on se rend compte que les femmes sont bassinées avec ces critères depuis l’antiquité. On pourrait démystifier la mythologie en long, en large et en travers que je n’aurai pas fini d’écrire l’article – ce n’est pas le but. Mais l’on oppose déjà la force et la douceur. Le livre de Gray attribue des critères psychologiques et sociaux aux deux sexes comme s’ils étaient issus d’une nature profonde. Alors que cette nature n’est que le résultat d’un conditionnement misogyne qui dure depuis des siècles. C’est cet exact conditionnement qui divise les gens sur leur avis sur la fangirl. Être une femme ou une fille qui fait le choix d’aimer un hobby artistique n’est pas aussi valorisant qu’un homme ou un garçon qui fait le choix d’aimer un hobby sportif par exemple. On retrouve cette dualité force VS douceur. C’est la raison pour laquelle on critique peu les supporters de foot, pour laquelle certaines personnes pensent automatiquement qu’un artiste masculin ne peut qu’être homosexuel – car quand même un chanteur respectueux de la femme qui porte du rose c’est un peu efféminé, pour laquelle certaines femmes dénigrent même leurs consœurs fangirl car il est mieux perçu d’avoir l’aval masculin et dominant sur ses choix et ses goûts – qu’elles le fassent inconsciemment ou non, et pour laquelle il est impensable qu’un homme puisse aller à un concert d’un artiste qui a un public à première vue plutôt féminin. Nos goûts ne sont pas moins bien que ceux des hommes, et pourtant on a réussi à faire croire à 50% de la population mondiale le contraire.

Être un homme et un fan est bien sûr compatible, mais il faut dans ce cas aimer un artiste masculin qui ne chantent pas que des ballades, penche plutôt vers le rock, et n’ait pas une rangée de femmes au premier rang de ses concerts. Il est aussi primordial de demander à une femme fan du même artiste si elle est SÛRE de connaître toutes les chansons de ce dernier. Double standard.

Saint-Thomas est ce bien toi ?

Dans le lot des personnes qui ne nous prennent pas au sérieux, il y a bien sûr celles qui ne cherchent pas à comprendre le schmilblick. (Surtout cantonnons nous à ce que l’on sait de ces fans, trop réfléchir pourrait nous fumer le cerveau.) C’est ce qu’on appelle un biais de confirmation, autrement dit un biais cognitif qui consiste à privilégier les informations concernant ses idées préconçues. Ce biais touche toute les classes de population – pas de jaloux entre les complotistes et les personnes qui dénigrent la fangirl. Le terme qui m’intéresse particulièrement dans la définition évoquée juste avant est « préconçues ». Ne vient-il pas confirmer que les gens aiment s’embourber dans des stéréotypes sans jamais faire preuve d’esprit critique ? Pire, ces personnes portent des œillères et ne font pas – ne veulent pas – prêter attention à l’élément qui viendrait perturber leur fondement de pensée. C’est tout à fait le cas de l’agent de sécurité que j’ai rencontré la semaine dernière. Voici plutôt un schéma explicatif.

Biais de confirmation en action

Et dans l’histoire, si cet homme avait vu 60% de ses congénères au concert contre 40% de « meufs », je ne suis même pas sûre qu’il aurait changé d’opinion ! Gare à ceux qui ne croient qu’à ce qu’ils voient…et à ce qu’ils veulent voir.

L’hystérie 2.0

Un des plus grands reproches fait à la fangirl est sa manière d’exprimer sa joie quand son chanteur préféré accourt sur scène. Qu’on vienne me jeter la première pierre car personne ne veut m’entendre crier quand je vois apparaître Harry Styles de derrière les coulisses. On aime traiter les fangirls d’hystériques. Oui c’est insultant. Oui cela fait référence aux siècles d’oppression vécus par les femmes. L’hystérie – étymologiquement dérivé de « Utérus », cet organe mal connu, sujet de tous les fantasmes médicaux et socioculturels – a trop longtemps été considéré comme le maux féminin par excellence. Une femme, s’est censé être discret, transparent, ça l’ouvre pas, un objet de déco quoi. Si une femme existe, elle est hystérique. Non, nous ne sommes toujours pas malades ou névrosées. Mais une femme qui montre ses humeurs est forcément psychotique, une fille qui montre ses humeurs est sûrement rongée par ses hormones pubères (à cause de notre organe reproducteur incontrôlable affamé de sexe). Évidemment, quand cette palette d’émotions est dévoilée par les hommes, cela ne pose de problème à personne ! Pourtant il faut voir l’état de certains mecs dans les stades pendant un match. Double standard.

Un jour mon prince viendra

Un jour il me dira…des mots d’amour ! Et tant pis s’il ne s’adresse pas à moi directement, je prends quand même.

Et si notre projection de l’homme parfait sur un artiste masculin n’était pas source de jalousie pour les hommes lambdas ? Je m’explique. Vous n’avez pas remarqué des dénominateurs communs entre tous les hommes dont les femmes sont fans ? Ils ne sont pas toxiques. Ils ne correspondent pas aux critères d’une masculinité hétéro-normée. La vérité, c’est que les femmes préfèrent fantasmer sur ces artistes qui semblent tout avoir pour leur plaire, qu’être en couple avec des hommes. Elles préfèrent rester célibataires tant qu’elles ne rencontrent pas l’élu – et l’élu à 100% de chance d’être un homme qui ressemble moralement à leur idole masculine. Et le standard est de niveau normal : un homme qui communique, féministe, qui ne porte pas de jugement de valeur, qui est gentil, doux, respectueux…message aux mascus : c’est vraiment pas la lune. Comme je l’ai dit auparavant il n’est vraiment pas choquant que tant de femmes aient été fangirl d’hommes homosexuels, qui sont le plus proche du female gaze. L’exemple le plus probant en 2025 est Jonathan Bailey – acteur de Bridgerton. Toutes les femmes attendent son coming-in, qui ne viendra jamais. L’autre dénominateur commun est aussi malgré tout le physique. Il faut vraiment s’empresser de dire aux hommes que pour une majorité d’entre nous, nous ne voulons pas de body builders. Les hommes veulent surtout plaire aux autres hommes, et sont choqués quand leur numéro de musculation ne marche pas sur nous. Pourtant la vérité est devant leurs yeux, les artistes qui ont les plus grandes communautés de fangirls sont, en vrac : Tom Holland, Timothé Chalamet, Harry Styles, Pedro Pascal, Cillian Murphy, Jungkook… peut être n’aiment ils pas voir que leur idéal de ce qu’est censé être un homme n’a aucun pouvoir sur ces artistes , et les voient donc comme des menaces à l’ordre sociétal et sexuel, et nous le font payer à nous, les fangirls…peut être.

La grosse moula

Notre obsession n’a pas qu’une retombé d’ordre social. Elle est aussi économique. Et alors elle en ramène de la moula, la fangirl. Un homme qui est fan de foot va potentiellement acheter du merchandising et contribuer à l’essor financier de son club, en outre d’aller aux matchs, c’est indéniable. Mais il y a une différence majeure avec la fangirl. Elle, elle créé l’artiste. Un footballeur est soumis aux règles du Mercato et est sûr de toucher un pactole plutôt intéressant à la fin de mois (de la journée). Ce n’est pas le cas notamment d’un chanteur pour qui la somme de son contrat avec la maison de disque atteint très rarement le million (au début). C’est là où elle rentre en jeu. Une idole représente tellement plus pour elle qu’un simple type qui chante, qu’elle s’investit émotionnellement. C’est la clé. On veut permettre à quelqu’un qu’on kiffe d’atteindre un certain niveau de vie. Ça passe forcément par l’achat : de produits dérivés (toujours officiels, sinon il touche pas les sous) mais aussi des CDs, vinyles et autres. On pourrait ne pas le faire – après tout j’utilise bien Spotify depuis la 5ème – mais nous sommes investies émotionnellement. Et la puissance est grande. En 2015, les directioners ont fait campagne auprès des radios nationales pour que le titre « No Control » du quatrième album des 1D passent à la radio et devienne un single : retombées économiques. Autre exemple. À votre avis, pourquoi tout le monde porte des Gazelles et Sambas depuis 2 ans ? Parce qu’Harry Styles s’est fait le plaisir de porter tous les modèles possibles et inimaginables sur sa tournée Love On Tour, que les fangirls ont carrément copié (moi la première), et que les trends et les lois de l’offre et de la demande ont fait le reste (permettez-moi de zapper le cours d’éco). Même chose pour le marché du boa et des gilets en crochet – et donc le crochet tout court. Je peux aussi parler du prix des tickets de concert. Impact très négatif pour nous les fans mais hors-sol pour les entreprises comme Live Nation ou Ticketmaster. C’est logique, nous sommes tellement prêtes à payer n’importe quel prix pour voir nos artistes, que les prix deviennent n’importe quoi. Prises à notre propre piège.

Les stéréotypes de genre ont la vie dure, et je n’ai pas l’impression que ça va changer d’ici peu. Peut être aurons nous atteint un semblant d’équité dans nos choix artistiques et musicaux quand nous utiliserons le terme de fanboy. En attendant je vais aller jeter un œil au site de Pleasing – la marque d’Harry Styles . Le gonz sort une ligne de sextoys. Quand on sait que le premier vibromasseur a été créé pour soigner l’hystérie, ne peut on pas dire que la boucle est bouclée ? En voilà un beau moment pour être une fangirl.

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